mardi 24 mars 2015

De la voie de garage à la longue montée

Tournant majeur dans mon action civile : j'ai pris, après une longue réflexion, la décision de cesser mon action au sein du Collectif des Gilets Jaunes, et d'agir ailleurs. Voici, en l'état, le chemin de pensée qui me fait aboutir à cette conclusion et permettra à ceux qui me lisent (et trouvent de l'intérêt à mes propos) de comprendre ce choix :
  • Sur les efforts engagés
  • Sur la mobilisation
  • Sur la possibilité d'une évolution positive de cette mobilisation
  • Sur l'efficience de Facebook comme support de comm' et de mobilisation
  • Sur la pertinence d'un combat contre lequel pèse toute la force de l'inertie politique et de l'autocensure médiatique.
Je terminerai par mon bilan des courses.

Number ouane : sur les efforts engagés
Je ne ferai pas l'article sur ma mobilisation surhumaine et mon engagement à corps perdu dans cette lutte qui reste, malgré tout le travail mené, confidentielle : de Mme la Maire de Saint-Médard-en-Forez faisant grève de la faim avec Céline, à Katia, Caroline, Flo, Coralie, Juliette et tant d'autres, des ATSEM de Bezons en grève jusqu'aux parents boycotteurs de métropole et d'outre-mer, des recours en tribunal administratif jusqu'au Conseil d'Etat, je suis très, très loin d'être le plus actif.
Mais je mesure la fatigue induite et le poids écrasant de cette mobilisation à l'aune de ma situation personnelle : je dors peu, j'ai objectivement mis en standby des projets personnels qui me tenaient à cœur depuis des années pour mener ce combat, j'ai passé des heures sur Facebook alors que j'exècre ce zéro social, et en plus d'y laisser mon énergie j'y laisse ma joie de vivre (ce qui n'est jamais bon pour une personne foutue comme moi).

Du haut de mes 10h minimum de transports en commun par semaine, malgré un travail qui s'exerce dans des conditions à peu près normales (donc, exceptionnelles au regard de celles de la moyenne des français), je n'y arrive plus.
Il me faudrait du temps libre pour recharger mes batteries : je n'en ai pas.

J'en suis à choisir entre écrire le tome 2 de mon bouquin, finir l'enduit sur les murs de mes chiottes, jouer aux legos avec mes filles, finir le mixage de l'album de mon groupe, écrire des textes ou des poèmes, ou passer une nouvelle nuit sur l'ordi, à me renseigner, lire des articles, rédiger des communiqués de presse (et aussi, il faut bien l'avouer, raconter des conneries, histoire de se détendre).
Et ces derniers temps, faut bien l'avouer, c'est la nuit sur l'ordi qui gagne. Après, c'est dodo de 0h30 à 6h45, et ça me bouffe, sans parler de la haute qualité d'une vie de couple où l'on passe sa soirée chacun sur son écran à facebooker et giletjauner.
C'est un cercle vicieux que je ne peux plus entretenir : je suis arrivé au bout de ce que je peux engager.

Number tou : sur la mobilisation
Faut pas se voiler la face : la région parisienne est la plus navrante des régions de France quant à son taux de mobilisation anti-réforme.

Mais elle représente assez bien, selon moi, la tendance générale du mouvement (sans arrière-pensée cynique ou parisianiste envers les gilets jaunes provinciaux, hein, soyons clair : je parle de tendance à l'échelle macroscopique).

J'attribue cela à plusieurs raisons (d'autres penseront différemment, so be it, là c'est moi qui disserte) :

  • le temps personnel réduit à quasi-zéro chez tous ceux qui ont suffisamment d'info pour savoir ce qu'est la réforme et ce que sont les gilets jaunes. C'est un classique, le fameux métro-boulot-dodo. Que celui qui a déjà réussi à boucler un tour du périph' en moins de 3 heures un jour de semaine me jette la première bière.Conséquence directe : le quidam parigot s'informe (au mieux) avec la télé sur la réforme, or la télé n'en pipe mot (j'en parle plus loin) ;
  • le manque d'intérêt pour la vie d'autrui et le repli sur soi, conséquence immédiate et assez facilement compréhensible d'une période grise.
    Ceux qui ont des gosses en bas âge ont toutes les raisons d'avoir peur de l'avenir : plus une thune de côté, des crédits de bâtard sur le dos pour payer la caisse qui pète à cause des bouchons et l'appart qui coûte une blinde à cause des malfaçons et des galères de copropriété... Cette chanson, je la connais par cœur, je suis entouré chaque jour de gens qui m'en font leur "variation sur le thème de...".
    Quand ça va mal, on s'occupe d'abord de soi, c'est bête mais humain. N'en déplaise à mes amis de province, il y a un humain coincé dans chaque parisien vénère ;
  • enfin, l'ignorance crasse des réalités pratiques de la société française, que j'estime entretenue collégialement par les politiques et les media nationaux au travers d'années d'inculture, notamment télévisuelle (je m'étendrai dessus un peu plus bas).
Conséquence immédiate et visible : une mobilisation qui baisse, qui baisse, qui baisse...

De ma première manif des Gilets Jaunes à Evry, à laquelle nous nous sommes ralliés sous la pluie et qui réunissait facilement 500 personnes, on est tombés à une petite cinquantaine ce samedi à Paris pour une manif conjointe avec le Collectif Citoyen Handicap. Comme disaient les lemmings : rock bottom !
Je le disais plus haut : c'est navrant. Et quand la maman du petit Charly s'est engagée sur la route à 3h du mat' pour 8h dans sa voiturette, direction Paris, pour venir plaider la cause de son môme handicapé et bientôt sans AVS en conséquence directe de la politique éducative et budgétaire du gouvernement, elle s'attendait probablement à quelque chose de costaud, qui appuie son effort. J'ignore ce qu'elle en pense : moi, à sa place, je serais simplement triste et écœuré. Pas à cause de ceux qui étaient là, mais à cause de ceux qui n'y sont pas venus.


A cette démobilisation s'ajoutent les échecs successifs des recours légaux, locaux comme nationaux, plus l'effet délétère du dialogue à la mode Facebook. Quoi de plus logique, alors, que plus d'un rendent leurs tabliers, convaincus que la lutte est perdue.
Pour l'instant, donc, vu de ma fenêtre, voici le score : Gouvernement : 1 / Gilets Jaunes : 0. Ça fait mal, mais c'est ainsi.


Number troua : sur la possibilité d'une évolution positive de cette mobilisation

Là, je vais faire court : y'a qu'à voir nos tronches pour piger où ça nous mène.
Fatigués, irrités, les "vieux de la vieille" du mouvement concèdent des efforts colossaux pour savoir et faire savoir, pour perfuser leurs proches sur les risques, les problèmes, les défaillances, pour aller dans la rue, pour rendre visible le combat.
Et ça ne marche pas. En tout cas, pas assez.

Parce qu'on s'attaque avec des armes citoyennes à un monstre exorbitant (au sens juridique du mot) : l'état, avec son appareil, son inertie, mais surtout son système d'autodéfense.
Celui-ci est tellement huilé et entré dans les mœurs que même des fonctionnaires soucieux des droits du citoyen et attentifs aux dérives d'un système de moins en moins démocratique se retrouvent contraints d'y collaborer en silence, sous peine de perdre leur job s'ils l'ouvrent.


Exemple récent : aux USA, Edward Snowden a quitté son pays et s'est exilé à Moscou parce qu'il a ouvert sa gueule contre la NSA : enjeux de sécurité nationale, protection des libertés individuelles, y'avait du très très lourd et c'était un point d'honneur. Et seul Moscou a accepté de l'accueillir (la France voulait le remettre aux ricains, merci Sarko et son retour dans l'OTAN).

En France, avec la réforme, quelqu'un a-t-il vu un inspecteur d'académie ouvrir grand sa gueule et dénoncer publiquement la gabegie complète de cette réforme merdique ? Parce que bon, c'est même pas du très très lourd, hein, c'est pas le début du totalitarisme, la réforme ! C'est juste un changement débile d'emploi du temps imposé sans argument défendable à tous les gosses des écoles de France. Comme dirait l'autre, "on était aux 4 jours et demi et on en est pas morts, hein !".

Et bah non. Personne d'impliqué n'a ouvert sa gueule pour dire que c'est de la merde. En France, un fonctionnaire, ça ferme bien sa mouille, sinon, crise oblige, c'est chômdu, et personne ne te reprendra. Nous avons tous cotoyé des enseignants, des responsables syndicaux, des fonctionnaires du ministère, qui nous ont tous dit que nous avions raison. Mais c'était en off...
Repli sur soi, mentalité de merde sciemment entretenue au plus haut niveau... y'a qu'à se baisser pour trouver des raisons au fait que ça ne bouge pas.


Alors, avec tout ça, comment la mobilisation pourrait-elle grandir ?
Il faudrait pour cela qu'elle trouve un écho. Qu'on sache enfin qu'en prétendant la sortir du merdier, on est en train d'y enfoncer sa tête à coups de rangers, à l'école.
Et pour que ça se sache, il y a... Facebook ?

Number quatre : sur l'efficience de Facebook comme support de comm' et de mobilisation
J'ai déjà eu, dans ces colonnes, l'occasion de dire tout le bien que je pense de ceux qui considèrent les réseaux sociaux comme un défouloir faussement anonyme, un endroit où l'on peut se permettre de tout dire, tel qu'on le pense. Cash. Comme ça, parce que "tu comprends, moi je déteste ceux qui sont faux-cul".


Certes, joyeux et amical camarade.
Mais ne pas vouloir être faux-cul, est-ce que ça justifie d'écrire des choses comme "va te faire foutre", "je t'emmerde", "tu ferais mieux de la fermer", "c'est à cause de gens comme toi qu'on n'y arrive pas" ?
Qu'est-ce qui devrait primer, dans un espace de discussion écrite : la qualité des idées ou la franchise de l'expression ?
Qu'est-ce qui ramène des points et des participants, dans un groupe de personnes qui s'opposent à une décision politique comme la réforme : avoir des débats riches et stimulants, où l'on s'affronte à coups d'idées, ou des batailles rangées qu'Ordralfabétix ne renierait pas, sur le mode "tu vas voir s'il est pas frais mon poisson" ?

Facebook est affligeant, parce que Facebook pousse à la division :


  • Impossible de mettre en avant une conversation intéressante : la première connerie qu'on publie après chasse les articles de valeur dans les limbes ;
  • Impossible de gérer efficacement le contenu : quand on souhaite modérer les échanges pour contraindre à la politesse, on se fait traiter de censeur, et quand on laisse libre court à la parole, les noms d'oiseaux fusent plus rapidement que les stratégies de combat.
  • Impossible d'aboutir à un consensus et d'identifier des personnes "référentes" : il faut toujours se défendre de vouloir "prendre le pouvoir" contre des gens qui confondent le nombre de J'aime avec l'intérêt des idées émises, qui confondent la popularité d'une conversation avec la popularité de ceux qui l'animent.
    Combien de fois machin a accusé trucmuche de vouloir tout régenter !
    Combien de fois bidule a dit de se méfier de chose !
    Combien de fois j'ai eu envie de distribuer des taloches à la volée pour rappeler aux gens qu'on n'était pas là pour élire qui a la plus grosse ou qui pisse le plus loin !
  • Impossible de maintenir la conversation dans un cadre partagé par tous : à la première divergence d'opinion, ou dès l'irruption d'un de ces interlocuteurs particuliers qu'on rencontre souvent, fin et posé comme un coup de tractopelle dans la gueule, la tentation est irrésistible d'ouvrir un nouveau groupe secret où on se retrouve seulement entre gens qui sont d'accords... jusqu'à ce qu'on ne soit plus d'accord et qu'on fasse encore un autre groupe secret... ad nauseam.
  • Et enfin, la dernière : impossible de faire confiance aux engagements pris sur Facebook. Ça, ça se vérifie à chaque manif quand on fait le décompte entre ceux qui ont cliqué sur "Je participe" et ceux qui participent effectivement.
    Y'a un nombre de gens distraits qui oublient qu'ils ont piscine quand ils cliquent ! C'est stupéfiant...


Et tout ça, pour le gouvernement et sa machine à broyer, c'est-à-dire ceux à qui l'on s'oppose en dénonçant la réforme, c'est du nanan.
C'est le rêve du "Prince" de Machiavel : divide et imperare, divise et tu règneras.

Donc, à cause de notre principal support d'échange, nous sommes divisés.
Et il faudra plus qu'un peu de scotch pour nous recoller : je constate que des inimités fortes, voire violentes, se sont formées entre plusieurs personnes.
Ces mêmes personnes, pourtant, défilèrent ensemble sous les mêmes bannières, en dénonçant les mêmes absurdités, et ne sont en réalité probablement séparés que par des pécadilles dont ils ne tiendraient même pas compte s'ils dialoguaient de visu.
Mais... Facebook est là, avec tous ses effets pervers, et la moindre parole qui n'est pas soupesée et placée avec adresse à la bonne place est susceptible de se retourner contre vous sans prévenir et de vous péter à la gueule.
Clic, like, post, flamewar : ça résume assez bien la séquence habituelle à laquelle on assiste.

Donc, puisque Facebook est un outil de merde pour ce combat, il faut envisager d'autres moyens de comm', non ? Pourquoi pas... la presse ? Hmmm ?


Number cinq : sur la pertinence d'un combat contre lequel pèse toute la force de l'inertie politique et de l'autocensure médiatique

Pas de bol : les media nous snobbent.
Des mails, on en a envoyé par milliers.
Des contacts avec la presse, on a tenté d'en avoir de partout : télé, journaux, radio, blogs, jusqu'à la presse étrangère.

Et si, au début, notre lutte tombait plutôt bien pour remplir le JT de Pernaut entre deux sujets omnibus (pour reprendre la terminologie de Bourdieu), genre "pensez à stériliser votre chat" et "le festival du cabécou à Issoubly-sous-l'Huis", force est de reconnaître que nous n'avons jamais, JAMAIS été pris au sérieux.

Je me rappelle encore de la pertinence ahurissante des arguments opposés à Elodie et Katia par les "chroniqueurs" bas de plafond aux réflexions dignes du Bar des Sportifs après le sixième ballon de muscadet chez Ruquier. On leur parle de mise en danger des gosses et de l'école, ils répondent à côté de la plaque et c'est eux qu'on applaudit !
Je me rappelle des petites phrases assassines en fin de reportage des télés nationales ou locales, concluant sur l'ampleur forcément limitée de la mobilisation (ce qui ne devrait pas être un critère) au lieu de la pertinence de la mobilisation (qui suffit à décider si les protestataires sont des hurluberlus ou des lanceurs d'alerte dignes de foi).
Et je me souviens des papiers (WC !) des pisse-copies rédigeant des proses plus ou moins nationales sans avoir, d'évidence, bossé leur sujet, et se gardant bien, avec cette bonne foi couille-mollisante qui paraît être la règle dans la majorité de la profession actuellement, de donner leur avis sur le sujet (bon ou mauvais, peu importe).
Je me rappelle, enfin, d'une conférence de presse donnée dans les locaux du SNE à Paris...en l'absence de toute presse, mis à part le farfelu adorateur de la réforme de l'inénarrable "Café pédagogique".
"Filme-toi toi-même" : ça pourrait être drôle s'il ne s'agissait pas d'un problème de société sérieux.

C'est sûr, c'était un sujet compliqué, cette réforme, pour un journaliste.
Un sujet qui nécessitait de travailler pour rendre digeste une mesure complexe. Du coup, c'était pas sûr qu'en passant ça à la téloche on arrive ensuite à bien vendre de la lessive au spectateur, avant la météo.
Et, toujours pour reprendre le lexique de Bourdieu, ça ne permettait certainement pas au journaliste chroniqueur de niquer TF1 ou iTélé car, c'est malheureux, les journaleux de ce pays (même chez les satiriques, j'en ai fait l'expérience personnellement) jouent inconsciemment ce jeu débile de la concurrence. Parce qu'il faut se démarquer des autres. Parce qu'il faut gagner.

Gagner quoi ? On se le demande...
Alors que ce sujet aurait dû être central lors des élections municipales, en raison des choix politiques qu'il allait imposer à toutes les communes, en raison du bordel qu'il allait mettre dans toutes les familles, en raison des nouvelles déchirures qu'il allait créer dans le tissu socio-éducatif, hé ben... personne n'en a parlé. Tu comprends, fallait plutôt parler de la montée du FN, ça, ça intéresse vraiment les français.
A quoi je répondrai, en mon nom personnel, et à la face de tous les gratte-papiers à petit bras qui cultivent au jour le jour l'indigence et l'inculture en croyant informer : connards, qui êtes-vous pour décider de ce qui m'intéresse, moi ?

Et comme si ça ne suffisait pas, l'appareil administratif, judiciaire et politique s'est avéré totalement incapable de faire son boulot, c'est-à-dire traiter correctement ce véritable problème de société, issu d'un projet mal pensé, afin de le renvoyer à la planche à dessin pour en refaire un qui puisse marcher.

Les avis d'experts ne manquaient pas, les retours d'expérience non plus :
  • des lettres de Claire Leconte au ministère,
  • des vidéos de Christian Schoettl expliquant comment lui, un maire d'un p'tit bled de l'Essonne, avait acquis par un heureux hasard et avant nous tous la connaissance suffisante des enjeux des rythmes biologiques en rapport avec l'école,
  • des témoignages de parents,
  • des calculs sur le coût nécessaire pour que la mesure soit efficace,
  • des tirages de sonnette d'alarme quant aux insuffisances manifestes des enquêtes PISA servant d'argument monobloc pour justifier la réforme,
  • deux avis négatifs du Conseil Supérieur de l'Education (consultatif seulement, évidemment)...
Face à ce déferlement, un système politique authentiquement républicain aurait abouti à la seule conclusion logique : on stoppe tout. On aurait eu un ministre qui aurait dit un truc du genre "Nous constatons que, en l'état, la mesure doit être étudiée plus en profondeur car elle provoque des difficultés dont l'ampleur n'avait pas été suffisamment mesurée".

Mais aujourd'hui, je constate que l'appareil France tourne à vide. Y'a une panne de micro dans la pièce du fond, on peut gueuler tout ce qu'on veut, preuves à l'appui : rien ne s'inscrit dans les boîtes noires.
Le gouvernement n'écoute rien.
Les préfets obéissent aveuglément.
Les tribunaux administratifs pissent dans le sens du vent impulsé par le pouvoir central.
Et, cerise sur le MacDo, la juridiction ultime de notre pays (le Conseil d'Etat), au lieu de s'emparer d'un sujet sur lequel le calendrier impose une réponse rapide :
  • prend 2 ans pour ne pas lire le dossier qui lui est adressé
  • renvoie chez eux les syndicats qui disent que cette réforme pue,
  • renvoie chez eux les élus qui disent que cette réforme pue,
  • condamne sans réfléchir tous les enfants du public à subir sans gémir cette réforme de merde !
Pourquoi ? Parce que l'intérêt défendu aujourd'hui par cette juridiction n'est pas l'intérêt du peuple, mais l'intérêt du gouvernement.
Preuve la plus flagrante : le Conseil d'Etat a aboyé et est venu faire le beau dès que l'ex-ministre de l'intérieur, aujourd'hui premier ministre, a claqué des doigts pour faire valider l'interdiction du spectacle nantais de Dieudonné, ce qui revient selon moi à sanctionner un délit (style "apologie de crime contre l'humanité") avant qu'il n'ait été commis (Minority Report dans ton cul, pour faire court et vulgaire). Moins de 2 jours pour statuer... c'est beau, la fidélité, non ? En tout cas, chez un clébard, ça force le respect.
Alors, avec un Conseil d'Etat, t'imagines...

Conclusion : on fait le bilan des courses ?
Les Gilets Jaunes, dont moi, se sont battus comme des beaux diables, mais avec le recul, ils n'avaient aucune chance de l'emporter.
Nous sommes un petit morceau de caillou tiré au lance-pierre contre un char AMX-30.
Ce char devrait garantir notre sécurité à tous. Être à notre service à tous. A notre écoute à tous.
Mais il est actuellement aux mains d'une bande de notoires zozos qui n'en ont manifestement rien à battre de suivre le programme de la république, ni d'obéir aux grands principes garantissant que même le plus pauvre et seul des citoyens doit pouvoir faire valoir ses arguments face aux institutions de son pays.
Tous les Facebook du monde n'y changeront rien, toutes les télés du monde n'y changeront rien : malgré nos gilets fluos, malgré la véracité établie des alertes que nous lançons, nous restons invisibles.

Je l'attribue au fait que notre pays s'est rendu aveugle à ses propres carences
Sourd aux appels de ceux qui jouent vraiment le jeu de la démocratie.
Insensible à la douleur qu'il cause, et notoirement à ses enfants.
Je ne peux pas dire qu'il soit muet, mais notre pays ne nous parle plus : il déblatère. Sans cesse, il nous confronte à la même litanie infantilisante, réductrice et débilissime, comme par exemple ces résultats de sondage éminemment contestables jetés à la face de ceux qui, les deux pieds dans la merde le réel, signalent aimablement que ça commence à puer avec la réforme et qu'il faudrait arrêter d'en rajouter dans la fosse septique qui déborde de partout.

Ma conclusion vient donc naturellement : l'appareil républicain actuel n'est plus en état d'assurer la mission républicaine :
  • Il est trop habitué à trancher dans le sens du "on ne change rien" (de Notre-Dame-Des-Landes à Sivens en passant par la réforme et, pourquoi pas, par la Lorraine) : si l'état a dit, l'état a raison. S'il se trouve qu'il a tort, s'arranger pour que ça ne se sache pas.
  • il est trop calé sur ses rails, incapable de faire marche arrière ou de changer de trajet sans qu'on dise "il perd la face" (alors qu'il évite peut être juste de se jeter comme un con dans un précipice, et nous avec) ;
  • il a réduit à des trous de pine les meurtrières déjà anorexiques qui lui servaient à voir le présent ;
  • il est trop alléché par la compétitivité qu'il appelle de ses vœux mais qui ne vient pas (et que, d'ailleurs, personne ne sait mesurer),
  • il s'est trop saoûlé de relance économique. Ça me rappelle une fois où j'essayais de relancer un moteur : je démarre, il cale, je démarre, il cale, j'insiste, j'insiste, jamais il ne démarre, et même il finit par ne plus rien faire du tout. Y'avait plus d'huile, le moteur a serré. Je l'ai foutu en l'air à force de vouloir le faire marcher sans essayer de comprendre pourquoi il ne marchait pas. Ça vous parle, comme image ?
  • il est dépendant à une drogue dure, la fabuleuse et éternelle corne d'abondance de la sainte croissance qui, chacun le sait, est le seul bonheur terrestre possible pour les êtres humains (j'adopte ici la définition de Pierre Gattaz, qui fait de lui et des patrons du CAC 40 des humains. Les autres ne comptent pas, ce sont juste des français)...
L'appareil France bousille un à un les organes qui ont fait de lui un point de mire vers lequel on se tournait.
Ca se disait, à une époque : "on est quand même pas si mal, en France, avec l'école gratuite, avec la laïcité, avec la justice, avec la sécu". Aujourd'hui, même moi j'ai du mal à y croire pour moi-même, et pourtant j'ai un taff et je suis blanc (sacrés atouts de nos jours).
Dans d'autres pays, y'en avait qui disaient : "ils en ont, de la chance, les français, eux au moins ils ne doivent pas prendre un crédit sur 10 ans pour payer leur pontage et le cardiologue". Le disent-ils encore ? Si oui, c'est qu'ils n'ont pas vu les nouvelles.

Et moi, je pense que tant que ça durera, il n'y aura aucun espoir de changement pour ceux qui, comme les Gilets Jaunes, luttent. Parce que les outils du changement fournis par l'appareil sont aujourd'hui tous défecteux.

Alors voilà, c'est pas un abandon, en tout cas je ne le vois pas comme ça. C'est un changement d'axe de travail.
Je décide de mettre l'énergie que je mettais dans les Gilets Jaunes au service d'un projet visant à rendre sa capacité à l'appareil républicain, pour que, à terme, les luttes sociales comme la nôtre aient de nouveau une chance d'aboutir.

Chacun son projet, le mien s'appelle "Mouvement pour la 6ème République", et j'espère y peser suffisamment fort pour y faire valoir ce que j'ai appris et retenu lors de nos combats : l'importance d'une école qui ne jette personne dehors, l'importance d'une égalité d'accès de tous les enfants à une école de qualité, l'importance de la reconnaissance et de la valorisation du travail des enseignants et de tous ceux qui participent à la vie de l'enfant.

Y'en a pour un moment, avant que ça aboutisse. Mais j'estime que c'est là qu'il faut glisser le levier, pour balancer dans un trou la Vè qui se fait dessus (en nous noyant dans sa flaque) et faire place nette pour une VIème. Si ça vous tente, viendez, on ne sera jamais trop.

Merci pour votre compréhension et votre lecture, et à bientôt,
G4rF

vendredi 7 novembre 2014

On ferme...

Apu
Apu.
Ben oui. Comme ça, c'est dit, c'est plié.
Cela fait déjà un bon paquet de temps que la question se posait pour moi de savoir si l'énergie déployée dans ce combat servait effectivement à quelque chose.

La lutte contre la réforme des rythmes scolaires a fini par avoir raison de moi. J'ai atteint la limite de ce que je peux consacrer à une cause. Le moteur est fatigué, l'embrayage patine, ça couine de partout, bref : je me sens plutôt sur le chemin de la casse que sur l'autoroute des vacances.

Explications.

La réforme des rythmes scolaires, c'est d'abord et avant toute chose une mesure imposée par le gouvernement Hollande 1. Certains croient encore aujourd'hui qu'une loi a été votée pour mettre en place ce machin : c'est faux. Un décret a été pris, ce qui laisse mesurer la dose effective de processus démocratique utilisée dans la fabrication de ce machin.

Pour illustrer le propos, sachez mes chers petits que dans des temps reculés, où l'on battait monnaie un peu partout, il fallait faire tinter les pièces pour savoir si elles étaient de bon aloi (c'est-à-dire si elles contenaient une quantité suffisante de métal précieux pour correspondre à leur "valeur faciale", ou si c'était du toc).
Trébuchet pour les sous
Trébuchet pour faux monnayeur
(bye bye...)
C'était avant la généralisation de la balance de type trébuchet (d'où l'expression "monnaie sonnante et trébuchante", et paf une couche de culture, c'est gratos ne me remerciez pas, j'aime me la péter, c'est ainsi), c'était rustique, mais à peu près efficace.




Procédons de même avec cette réforme. On la cogne, ça fait PLOOOONG. En clair, c'est creux.

Diplomate, ouais,
mais faut pas pousser.
Depuis des mois et des mois, ma moitié était fortement impliquée dans cette bataille et le faisait savoir avec son propre tempérament, qui n'est pas le mien.
Par déformation professionnelle sans doute, et aussi parce que j'ai subi plus d'une fois de cuisants revers en mettant peu de gant pour dire le fond de ma pensée à mes interlocuteurs, je suis devenu avec le temps de plus en plus diplomate.

J'ai donc fait mon œuvre habituelle de "nègre" littéraire en devenant sa plume. Puis, le temps passant et son rôle devenant de plus en plus majeur, j'ai fini par m'impliquer nommément et tomber le masque.



J'ai manifesté. Chanté des slogans. Ecrit des tracts, des communiqués de presse.
Je stratégise à donf.


Et surtout, j'ai tenté de réfléchir à des stratégies pour faire bouger les lignes entre le moutonisme national de tous ceux qui étaient concernés par cette réforme, qui allaient en baver et qui ne bougeaient pas une oreille (en mode "de toute façon qu'est-ce qu'on peut faire ?"), et le révolution-point-comisme des protestataires inscrits sur Facebook se foutant des peignées virtuelles les uns les autres à longueur de commentaires.


Résultat : échec et échec.
Il faut plus de temps et d'énergie que ce dont je dispose pour titiller la conscience des foules, leur faire réaliser que des décennies d'éducation à un comportement de suiveur pèsent sur leurs têtes et qu'ils doivent s'émanciper du défaitisme ordinaire.
Débat ordinaire sur Facebook
(allégorie)
De même, malgré un nombre conséquent de tentatives de médiation et d'apaisement, la guerre des ego fait toujours rage sur les groupes de discussion où, selon la formule désormais consacrée, les gens écrivent comme ils pensent, c'est à dire sans filtre, et perdent plus de temps à débattre de untel ou unetelle et ses potentielles intentions cachées de dominer le collectif des protestataires plutôt qu'à réfléchir à enrôler des amis dans la bataille.

Et là, moi, ben j'ai plus de courage.
J'ai des chantiers à finir dans ma maison, je n'ai pas écrit une ligne depuis plus de 4 ans, j'ai laissé tomber trop de choses et me suis tellement laissé bouffer que je ne suis plus que l'ombre de moi-même.

Devine qui va te bouffer ce soir ?
De plus, au risque de jouer les Cassandres, force est d'admettre que mon premier sentiment sur ce combat s'avère aujourd'hui concrétisé : les français dans leur immense majorité sont trop mous pour se battre, attendant tous que quelqu'un d'autre prenne en charge le problème, et lorsque le couperet tombe avec toute la force de l'appareil d'état pour s'assurer qu'aucune tête ne dépasse, on n'entend plus beaucoup de voix pour gueuler au scandale et pour continuer à dire que personne n'a demandé ce merdier.


En résumé, au lieu de se plaindre qu'ils se font écraser la gueule à coups de botte, ils se disputent au sujet de la pointure.


Bonjour les enfants, je suis votre
nouveau nouveau nouveau ministre...
Perspectives ? Là encore, je prophétise, et je souhaite me tromper : d'ici un ou deux ans, un nouveau gouvernement viendra constater la catastrophe financière et le ratage de cible, ficellera à l'arrache une nouvelle réforme qui sera elle aussi "concertée" --notez bien la différence de terme : concerter, c'est se mettre d'accord alors qu'on est sur la même longueur d'onde, alors que négocier, c'est résoudre une dispute en y mettant chacun du sien--, l'école publique subira de nouveau une onde de choc qui verra de nouveau les syndicats prendre chacun leur initiative de protestation dans son coin sans chercher l'efficacité de l'union, et le cirque recommencera son numéro.

Oui, je suis défaitiste.


L'année écoulée me certifie que j'ai raison de l'être : ce combat est perdu, en tout cas sous cette forme. Quand on se bat quasiment seul (ce qui est notre cas dans l'Ile de France, avec 1000 inscrits au groupe Facebook contre la réforme, et même pas 60 personnes qui se déclarent prêtes à venir manifester sur Paname), quand on est isolé jusque dans sa propre ville (ce qui est notre cas à Sannois, où un total mirifique de 4 personnes sur 27 000 habitants ont un jour porté un gilet jaune), ben au bout d'un moment on raccroche son épée au ratelier et on retourne cultiver son champ.
Déprimuri te salutant

Les petites victoires obtenues au tribunal administratif n'ont pas suffi à faire péter cette immondice.



Le Conseil d'Etat, muselé et aux ordres, qui délibère en 1/2 journée sur Dieudonné et n'a toujours pas répondu après 2 ans à Christian Schoettl, ne sera sans doute pas l'instrument de la délivrance attendue.




Je terminerai sur une note négative puis une note positive.

D'abord un extrait d'une chanson qui me parle à chaque fois qu'on me dit "naaaan, je peux pas manifester, j'ai piscine, et pis d'abord faut être adulte, hein, la réforme elle est là, faut faire avec" :
Renaud, "Hexagone" (1975)
"Ils font la fête au mois d'juillet,
En souv'nir d'une révolution,
Qui n'a jamais éliminé
La misère et l'exploitation,
Ils s'abreuvent de bals populaires,
D'feux d'artifice et de flonflons,
Ils pensent oublier dans la bière
Qu'ils sont gouvernés comme des pions"

Quant à la note positive, en forme de "coming-out" politique pour les quelques obscurs qui n'auraient pas encore compris vers quel bord mon cœur balance ces temps-ci, il y a un truc qui s'appelle "Le mouvement pour la 6ème République", qui est porté par Jean-Luc Mélenchon entre autres, qui appelle à une assemblée constituante (une vraie, hein, pas un faux machin façon Assemblée + Sénat à Versailles pour faire plaisir à Sarko comme à l'époque).



Je souscris à cette démarche, et je vous invite à vous en faire une idée et à y souscrire à votre tour.
Si vous voulez savoir pourquoi un type comme moi trouve une résonance dans ce mouvement, si vous voulez savoir pourquoi je pense par exemple que le PS est aussi à gauche que je suis papabile, contactez-moi, on causera, ça sera cool.


Ca se passe ici : http://www.m6r.fr



Merci à celles et ceux qui luttent encore, qui poursuivent et remportent des victoires (bien souvent en province, tant pis pour Paris qui a décidément du mal à bouger son gros boule), et qui gardent le souci des enfants des autres dans ce combat. Désolé de vous lâcher, moi, j'en peux plus. Bon courage et à bientôt (sur les barricades, si tout continue comme aujourd'hui).
--G4rF--

mardi 30 septembre 2014

Cher(e) dirlo

Lis tes ratures
Lis tes ratures !


J'ai pris la plume ce soir pour exprimer à la direction académique du Val d'Oise ce que je pense, à la fois de la réforme des rythmes scolaires, mais aussi de la farce grotesque dont peu de parents d'élèves de l'élémentaire ont encore pris conscience : les 4 demi-journées de "concertation" sur les nouveaux programmes.




Ce n'est qu'un mauvais moment à passer
Ce n'est qu'un mauvais
moment à passer... hé hé !

C'est rigolo d'une façon très ministérielle et très contemporaine parce que le même ministère qui fait chier son monde pour obliger les écoles à ouvrir le mercredi matin demande finalement de les fermer 4 fois de suite cette année, pour faire --à mon humble avis-- semblant de débattre avec les profs des nouveaux programmes (lesquels sont aussi négociables par un prof lambda que le fait de baisser son froc peut l'être en allant chez le proctologue).

Et ça, donc, à la place de quelques-unes de ces précieuses heures d'enseignement du mercredi matin, obligatoires mais pas trop si je comprends tout bien (j'ai des doutes là-dessus).


"J'ai rien à voir avec ça, moi !"
"J'ai rien à voir
avec ça, moi !"


Parce que voilà comment ça se passe : ton gosse est crevé, tu trouves cette réforme débile (ce qui signifie que tu as l'oeil, camarade lecteur), tu boycottes le mercredi matin, et paf ! Tu te chopes une lettre de menace de l'académie, où on t'annonce que tu vas te prendre des sanctions pénales, des amendes, un vigoureux fouettage en place publique avec des orties fraîches, et même si tu récidives un concert privé acoustique des faces B de Benjamin Biolay.
Si.





Je t'appellerai Coup Critique, mon amour !
Je t'appellerai Coup Critique,
mon amour !



Mais si c'est l'acacadémimie qui veut récupérer son mercredi pour sa propagande interne concertation, là, elle a le droit. Bin oui, j'ai 2 D20* de bonus en filoutage administratif, et j'ai 8 points de compétence en ferme-ta-gueule-citoyen.


Pendant ce temps-là, kékifé ton gosse, hmm ? Y'a plus de centre de loisirs, le ministère l'a fait fermer le mercredi matin depuis qu'il y a école !


Par chez nous, le maire a (pour une fois) pris ce que j'estime être la bonne décision : dire merde à l'académie et ne pas ouvrir les accueils de loisirs. Il pourrait faire encore mieux : ouvrir les écoles, pour qu'on puisse nous aussi y aller faire mumuse, taper le ballon dans la cour avec les gosses pendant que leurs instits s'emmerdent dans une quelconque réunion pourrave d'un bâtiment administratif sinistre d'une banlieue éloignée au mètre carré de béton abordable... Ca aurait de la gueule !

Mais bon, je cause, je cause, et j'oublie de vous assommer avec ma prose épistolaire. La voici :



--G4rF--

*si vous n'êtes pas rôliste, ça ne vous dira rien. Et c'est bien dommage... pour vous ! Vous passez à côté d'un monde sympa (quoi qu'envahi d'ados boutonneux).

jeudi 18 septembre 2014

Comme des pions

Dur, dur de se pousser aux fesses pour faire avancer le combat dans l'atmosphère ambiante.
Les ministres filent,
les galériens défilent

C'est là que l'on mesure le coût qu'engendre une bataille dans laquelle on sait qu'il faudrait des forces massives pour l'emporter très rapidement, mais où l'on constate assez vite qu'on est isolés malgré nous, au milieu de la masse des "on n'y peut rien", "à quoi ça sert de se battre", et j'en passe.


11 septembre : commémoration
de la connerie
J'évoquais dans un billet précédent l'espoir que je plaçais dans la confrontation au tribunal administratif entre le préfet de l'Essonne et le maire de Janvry, précurseur de la lutte contre la réforme des rythmes scolaires.
Aussi incroyablement stupide que ça puisse être, le tribunal a donné raison au préfet.

Décidément, le 11 septembre, c'est vraiment une journée pourrie.

Je retire donc ce que j'ai dit : le droit, c'est pas fun.

En synthèse, on peut dire que le tribunal s'appuie sur la décision rendue par le Conseil d'Etat ce 2 juillet, suite à un recours contre le décret Peillon/Hamon déposé par une asso de parents, auquel a été associé le recours déposé par Sud Education.
Jurisprudence power.
Mais, et c'est là que le bât blesse, la décision en question est, en tout état de cause, entachée d'erreur. Je cite le paragraphe qui me fait bondir :
Solide, sûr, élégant :
un argumentaire qui tient la route !
13. Considérant, en deuxième lieu, que, dès lors, ainsi qu’il a été dit au point 3, que le décret attaqué ne crée pas une obligation pour les collectivités territoriales d’organiser des activités périscolaires complétant la journée de travail des élèves, les moyens tirés de ce que cette obligation méconnaîtrait le principe constitutionnel d’égalité, le principe d’indivisibilité de la République française et le principe de libre administration des collectivités territoriales ne peuvent qu’être rejetés ; que les moyens tirés du défaut de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité soulevés par l’association requérante sont également dirigés contre les dispositions du décret, qui créerait une telle obligation, et ne peuvent également qu’être rejetés ; 


S'il est inévitable de constater que le décret original et sa version hamonisée ne font pas mention explicitement d'une obligation d'organiser des activités périscolaires, il faut remettre les choses dans leur contexte d'application : en déplaçant du temps scolaire sur une demi-journée de plus, la réforme crée des trous, et aucun financement n'est prévu pour que les communes puissent "boucher" ces trous avec le minimum requis (c'est à dire de la garderie).
Financement de la réforme (allégorie)

En effet, le fonds d'amorçage n'est là que pour démarrer la mise en place d'activités périscolaires, et donc si t'en fais pas, t'as rien.

Conclusion : la réforme crée bel et bien de nouvelles dépenses pour les communes, qui sont contraintes d'ouvrir les écoles une demi-journée de plus par semaine (ça coûte du fric : de l'eau, de l'électricité, du nettoyage, de la maintenance) et de prendre à leurs charges les mômes pendant les trous d'emploi du temps créés.
Et si les communes ne peuvent pas ou ne veulent pas mettre de TAP, c'est zéro thune et tu fermes ta gueule.
C'est donc du marche ou crève, et si ça c'est pas se torcher avec le principe de libre administration des communes, je ne sais pas comment l'appeler.

De là, que faire ?

Déjà, se rappeler qu'il y a des éléments positifs.
Et d'une, maintenant que toute la France a les deux pieds dans la merde réforme, on constate un regain d'intérêt pour ce sujet.
Nous avons lancé un petit sondage (3 minutes pour répondre) destiné à ceux qui subissent directement l'effet de la réforme : en moins de 3 semaines, nous avons reçu 3200 réponses, et le bilan est sans appel :

Et de deux : il est encore possible de faire tomber cette grossière connerie et de se retrousser les manches pour bâtir un système éducatif qui ne marche pas sur la tête.

Maman, je peux écrire un autre
décret avant de passer à table ?
Steuplééééééééé !
Rappelons à cet effet --merci l'arrêt du Conseil d'Etat qui le rappelle à sa façon-- que, puisqu'apparemment l'organisation de la semaine scolaire relève de la prérogative du directeur académique, puisque celui-ci est semble-t-il choisi pour sa capacité à plier l'échine face à l'incurie de sa hiérarchie, puisque celle-ci a le pouvoir de tremper sa plume dans l'encre inbile pour rédiger un décret qui dit "demain, il y aura cours de 4h du matin à 6h03, puis récré pendant 8h47 et reprise des cours jusqu'au coucher du soleil"... hé ben ladite hiérarchie peut aussi dire "oh, té, les mecs, on s'est complètement gourrés avé cette réforme de mes cougourdes, alors on va embrasser Fanny, et après on se met à table pour l'apéro et pour parler un peu sérieusement d'école et de ce qu'il faut faire pour qu'elle remarche, cong !".

Ça, c'est le pouvoir du ministère, apparemment. Je repose donc la question : qu'attend donc la ministre pour user de son pouvoir (dans un sens non imbécile, cela va sans dire) ?

Machine à réformer l'école
(fonctionne à l'eau tiède)

Que s'empilent de plus en plus les témoignages de dysfonctionnement de cet épouvantable bouzin ?





Aujourd'hui, on tond le berger !

Que les gentils moutons, dressés à la docilité et au "c'est leur problème" réalisent qu'on les mène droit dans le mur et qu'ils cessent de se laisser berner ?



Chuck Norris dit :
les jeux sont faits




Que ceux qu'on gouverne comme des pions se réapproprient leur pouvoir, fassent les fous, montent dans les tours et sur leurs grands chevaux pour faire échec au petit roi ?






Certes, les français sont mous, probablement parce qu'on leur hache leur steack au lieu de les contraindre à aller le chasser. Société des loisirs, chacun sur son quant-à-soi, plus personne pour se révolter, plus personne pour manifester... jusqu'au jour où ça pète. La réforme des rythmes scolaires, c'est une étincelle de plus qui tombe en plein dans la Sainte-Barbe.

Mâche ta brique !
Pour être parfaitement franc, et livrer mon point de vue personnel, je ne peux imaginer qu'un pays tout entier, gouverné par une caste détachée de la réalité et qui n'a plus qu'un vague rapport avec le bas peuple et ses turpitudes, accepte encore bien longtemps de se bouffer le mur et d'être contraint d'en mâcher les briques.
Quand ça va péter --et ça va péter, on en est sûr, on se demande juste quand-- la violence des représailles sera, j'en suis persuadé, proportionnelle à la taille des couleuvres qu'on aura contraint les petites gens à avaler.

Et moi, j'écris ça assis peinard devant le clavier, avec un salaire correct qui tombe chaque mois et une dose de difficultés somme toute modeste à affronter. Moi, qui suis techniquement plutôt à l'abri de la galère et loin de la misère, j'en ressens les chocs dans mon modeste séant.
Je veux pas trop faire mon Dickens, mais imaginez ce que pensent et veulent faire à leurs bourreaux quotidiens ceux qui ont moins de chance que moi...
(J. Tardi)
--G4rF--

mardi 9 septembre 2014

Le droit, c'est fun ! Mais si !

Attendu que MDR,
le tribunal décide que LOL
Si, si, je vous assure, le droit, c'est rigolo.
Enfin, ça peut l'être.

J'en parle en (légère) connaissance de cause puisque mes tribulations passées m'ont déjà amené à être confronté à la mécanique particulière du droit administratif, et quand on en apprécie les finesses, il y a certains moments de pure joie et d'anticipation.
J'étais, moi aussi, du mauvais côté du bâton. Si je dis "moi aussi", c'est parce qu'un petit phénomène intéressant se passe en ce moment avec les assignations en référé qui se multiplient contre les élus opposés à la réforme, et qui ont entamé des actions en ce sens.

Je dis intéressant car les derniers jugements rendus ont été favorables à notre lutte. Cool !

Commençons par la
commencitude

Mais reprenons au début.


En France, les tribunaux évaluent l'application du droit dans une situation donnée, entre un plaignant et un défendeur généralement.
Le droit, c'est tout le paquet de lois, décrets, règlements & compagnie, plus les grands principes qui les chapeautent (la constitution notamment), plus les cas précédents où il a fallu trancher des problèmes d'application du droit (la jurisprudence).

Comme c'est un gros foutoir qui va chercher très très loin dans la spécialisation (ce qui laisse bien songeur quant à la possibilité effective de mettre en oeuvre le principe fondamental qu'on a tous lu ou entendu : "nul n'est censé ignorer la loi"), ça fonctionne un peu comme une commode.

Chaque chose à sa place,
de préférence sous clé
Y'a un tiroir pour les chaussettes (le droit pénal), un tiroir pour les caleçons (le droit civil), un pour les sex-toys accessoires (le droit administratif), etc...
Et dans chaque tiroir, y'a des boîtes, et ces espèces de "sous-droit" dérogent au droit parent en apportant des particularités propres à leurs champs d'application spécifiques.

Ca éveille l'intérêt quand on sait que la justice administrative a tendance à trancher en faveur de la continuité d'action de l'appareil administratif, et qu'elle s'appuie à mort sur la jurisprudence des cas similaires à celui qu'elle doit juger.

Evidemment, c'est rédigé dans le sabir spécifique que l'on retrouve sous diverses formes dans les professions à jargon (avocat / médecin / technicien / etc.), mais on s'y retrouve quand même.

Une p'tite cahouète pour
ouvrir l'appétit

Je vous la refais avec mes mots à moi.

Mise en appétit :

- le préfet de l'Essonne a (sur ordre du ministère) attaqué par le passé la première délibération du conseil municipal de Janvry contre l'application de cette réforme ;
- 3 jours avant l'audience, le préfet a laissé tomber (c'était en Novembre 2013) ;



Recette de base

Le gâteau :
- aujourd'hui, toujours téléguidé parce que c'est le job qui veut ça, le préfet remet le couvert, et en référé s'il vous plaît, accusant la mairie de Janvry de n'avoir informé les parents que par un courrier fin Août du maintien des horaires pré-réforme ;
- manque de pot, les avocats rappellent que le préfet a déjà tenté le coup de l'attaque contre Janvry et s'est déballonné ;
- ils signalent que la dernière délibération du conseil municipal, qui acte l'impossibilité (même avec les assouplissements et tout le tintouin) d'appliquer correctement la réforme avec les moyens disponibles, a été prise le 3 juin 2014, et transmise pour contrôle à la préfecture 2 jours après ;
- or la loi prévoit que la préfecture dispose de 2 mois à compter de la date de réception pour statuer sur la légalité : en clair, si le préfet ne dit rien pendant 2 mois, la délibération est entérinée de fait. Et nous sommes en septembre...
- les avocats envoient donc balader le préfet et sa requête mal ciblée (attaquer le courrier aux parents en "oubliant" la délibération du conseil), et en profitent pour signaler que pour l'astreinte de 1000 euros par jour de retard dans l'application de la réforme, faut quand même pas pousser le dromadaire dans les cactus (je traduis, hein !) ;

Recette de base,
plus option
Le fourrage à la crème pâtissière :
- le préfet dit que la délibération entraîne le non-respect de l'accès égal des enfants de Janvry à l'école par rapport aux mômes d'autres villes ;
- les avocats indiquent que, puisque les horaires d'ouverture des écoles prévoient toujours autant d'heures de cours, c'est du flan cet argument ; d'ailleurs, ils précisent que le tribunal de Rouen vient d'affirmer ce principe en déboutant l'état qui attaquait la commune de Ganzeville le 6/09, de même que le tribunal de Toulon vis-à-vis de Montmeyan le 5/09. Pan dans les dents ;


Toutes options
Les p'tits fruits en bonus :
- le préfet dit que la délibération ne respecte pas le décret de la réforme (bah oui, quand même) ;
- les avocats signalent que ledit décret est illégal, car il ne fournit pas les moyens d'appliquer la réforme. Ils rappellent que la loi dit que cette fourniture de moyens s'apprécie au moment de la mise en oeuvre du transfert de responsabilité entre l'Etat et la commune, qui est contrainte par la réforme à mettre en place des activités périscolaires ou de la garderie supplémentaire, de recruter du personnel... Donc, décret illégal au titre de la constitution (article 72-2), et donc on ne peut pas reprocher à une ville de ne pas respecter une disposition d'état qui elle-même s'essuie les pompes sur la constitution et la jurisprudence ;

Série limitée DeLuxe
Le glaçage :

- les avocats rappellent que toutes ces nouvelles dépenses viennent flanquer le dawa dans les budgets des communes. Or (pas de bol), la jurisprudence du Conseil d'Etat sur un cas similaire (Villeurbanne, mai 96) établit que mettre la pagaille dans les finances d'une ville, c'est se moucher avec le même article de la constitution (libre-administration des communes). Donc, décret illégal par ce biais-là aussi ;


Modèle excessif
La cerise sur le McDo :

- les avocats soulignent qu'un décret, ça doit être totalement explicite et ne rien cacher de ses conséquences ("principe constitutionnel de clarté et des objectifs de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme", je cite).

Or, le décret Peillon/Hamon oublie joyeusement d'évoquer les transferts de responsabilités, donc n'est pas explicite, donc est illégal une fois de plus par cet axe-là. Paf ;




Modèle ultime :
obscène
mais savoureux
La touche finale :
- le préfet réclame que le tribunal, saisi en référé (une procédure d'urgence), fasse sauter la décision de maintenir les horaires pré-réforme ;
- les avocats signalent qu'en décidant ça, le tribunal outrepasserait son domaine de travail, qui est de prendre des décisions provisoires, pas de faire dans le définitif (car ça, c'est le boulot d'un tribunal saisi normalement, et pas en référé).
Conclusion : si le tribunal suit la demande du préfet, ça donne matière à attaquer le jugement parce qu'irrespectueux du droit.
Et si un tribunal se met à interpréter à sa guise les frontières du terrain sur lequel il influe, il a environ 100% de chances de se faire atomiser par la juridiction supérieure, ce qui fait tâche sur le C.V. du juge qui veut prendre du galon et quitter les prétoires bas de gamme pour les ors et le velours des corps d'élite judiciaires.

Go ahead, make my day
Moi, en lisant tout ça, j'ai bien ricané sous cape.
J'ai compris aujourd'hui (peut-être de travers) que le jugement avait été renvoyé parce que de nouvelles pièces avaient été versées au dossier par les avocats de Janvry (j'imagine que ce sont les jugements de Rouen et Toulouse), et que ça va se juger très bientôt.


Si malgré tout ça le tribunal donne droit aux demandes du préfet de l'Essonne, va falloir qu'il fignole un argumentaire très très très précis, parce que les suites vont être sportives.



M'enfin, tout ça pour quoi, hein... pour régler un problème que Peillon ou Hamon auraient pu dégonfler en 3 minutes s'ils avaient accepté de nous recevoir, en se comportant comme des ministres autonomes et aptes à agir par eux-mêmes, plutôt qu'en la jouant fonceur bourrin sur des rails inamovibles (et en finissant dans le mur).
Najat Vallaud-Belkacem et moi, on a quasiment le même âge, ai-je remarqué. Si cette femme a eu l'occasion de se frotter un peu à la vie (et je pense que c'est le cas, quand on arrive à cet âge), elle a dû développer un peu d'intelligence pratique.


La mécanique de la comprenette
(par Jean-Kévin Da Vinci,
6 ans)
Et partant de là, le constat est fort simple : Peillon s'est banané, Hamon s'est fait sortir, et Najat Vallaud-Belkacem récupère un ministère déglingué avec une réforme de merde dans un pays en crise sous le gouvernement le plus détesté que j'aie vu de ma petite vie.

D'un point de vue purement pratique, qu'est-ce que ça pourrait bien lui coûter d'ouvrir sa porte et ses esgourdes aux opposants à la réforme (mais elle-même, hein, plutôt que d'envoyer des larbins), et de donner enfin dans le pragmatique pour essayer de remettre le navire à flot ?

Pour peu qu'elle le fasse avec sincérité, elle passerait pour une courageuse, une réaliste, une politicienne en pleine possession de ses dossiers. Pas mal, sur un C.V., ça, non ? J'irai pas jusqu'à dire qu'elle me rendrait confiance dans le P.S. --on ne demande pas à un crocodile d'aimer les maroquiniers-- mais ça ferait d'elle en un tournemain la plus sympathique de tous nos gouvernants. Le genre avec lequel on ne s'interdit pas de négocier. Le genre qui a de l'aplomb, de l'envergure, qu'on écoute, parce que sa parole, ce n'est pas que du vent. Par les temps qui courent, c'est très très rare, ça.
Quoi qu'il en soit, la balle est dans le camp de la justice pour l'instant. Mais Najat a le pouvoir de siffler la fin du match, alors qu'attend-elle pour s'en servir ?

--G4rF--

lundi 8 septembre 2014

Pirouette dans le caniveau

Aesculus hippocastanum,
également appelé marronnier
chez les plumitifs de bas niveau
Une nouvelle année scolaire débute.

Dans un élan commun puissant de grégarisme, avec ce bel ensemble dans le mouvement qu'acquiert la troupe soldatesque rompue depuis des années à la discipline, les medias dominants se jettent sur tout ce qui a trait à la scolarité comme la vérole sur le bas-clergé.


Nouvelle année scolaire, nouvelle année de luttes : depuis janvier 2013, la réforme dite des "rythmes scolaires" occupe mon temps personnel et de loisir bien plus que je ne l'aurai cru possible.
De manifs en manifs, de débats en débats, depuis les groupes de discussion du zéro réseau social par excellence* où s'écharpent gaillardement tout un tas de gens a priori pas plus bêtes que la moyenne pour une virgule mal placée ou pour s'être laissé piéger à écrire comme ils pensent (c'est à dire sans filtre), je bouffe Peillon, je mâche Hamon et maintenant je déglutis Vallaud-Belkacem.
Une tête de mort au guide
des réformes indigeste : à éviter
Autant le dire en deux mots : le cuistot change, mais le plat est toujours aussi immangeable.

Samedi 6 septembre 2014, 15h00.

Nous arrivons place Colette à Paris en déambulant sur l'avenue de l'Opéra depuis le métro Pyramides. Au lieu du départ de la manifestation, un attroupement et plusieurs écharpes tricolores.
Cette nouvelle manifestation, la première de la nouvelle année scolaire, est à l'initiative des élus opposés à la réforme.
Par l'effet du grégarisme cité plus haut, une petite nuée de caméras et de micros tournicote autour des dromadaires de Christian Schoettl, en attendant une déclaration de Nicolas Dupont-Aignan.

Nous déployons nos 6 mètres de banderole. Abordés par un mec à l'haleine houblonnée, nous expliquons le pourquoi de la manif. Il acquiesce et discute un peu. Pour un type imprégné en mode Ernest Déhaif, il paraît assez lucide.
Galoche citoyenne (allégorie)
J'ai confirmation quelques instants après de sa lucidité en peignant à grands traits le tableau noir de la réforme devant des dames qui confessent assez vite avoir défilé contre le mariage gay. Je me fais un plaisir de glisser qu'on pourrait me qualifier d'extrême-gauche (grimace à demi terrifiée mais pas vraiment convaincue : quoi, ce gentil papa avec sa fille dans les bras et l'autre dans sa poussette, un horrible gaucho au couteau entre les dents ?). Ces dames sont moins bourrées que le mec d'avant, mais elles confondent leur débat moraliste avec notre lutte argumentée... tant pis.

"On est avec vous", entendons-nous de gauche et de droite. C'est mieux que "démerdez-vous", mais c'est quand même pas Byzance. Le cortège s'ébranle. Nous marchons longuement. Nous crions fort, mais toujours la même chanson : personne n'a pensé à emmener les paroles des chansons anti-réforme. Bravo les devoirs de vacances !
Traversée du Louvre. Traversée de la Seine. On enfile les petites rues trop étroites pour la banderole, mais où ça résonne bien quand je hurle "ABROGATION !" à m'en faire péter les poumons.

Commerçant inquiet
qui pense
tout haut
(illustration)
Marcher, marcher, chanter, chanter. Par ci par là, les regards mi-inquiets mi-curieux des commerçants des beaux quartiers : ils en font du bruit, pourvu qu'ils pètent pas ma vitrine, mais pourquoi ils sont en jaune, c'est des éboueurs ou quoi... On les entend presque penser. Ou bien je me fais des idées...

Le boulevard Saint Germain se profile, on s'assied par terre un instant sous le nez des z'automobilistes qui n'en demandaient sûrement pas tant. Paniquée, la nénette qui a déposé la déclaration de manif et qui s'est tellement pomponnée pour se montrer aux caméras qu'elle pourrait passer pour un infomercial de Maybelline s'agite : "dépêchez vous, on va rater l'audience au ministère !
- Pfff, ils ne nous recevront jamais.
- Mais si, mais si !
- Ben tiens..."

"Ceci n'est pas un cordon de bleus"
(R. Magritte)
Debout, on repart après deux minutes au sol. A droite, rue de Grenelle. On marche. Bientôt l'arrivée au barrage devant le ministère si tout se passe comme d'hab. Manque de pot, au croisement avec Raspail, la rue de Grenelle est bloquée par un cordon de bleus.

Volte soudaine des dromadaires, on ne comprend pas, ça proteste : déjà qu'au début, on devait aller vers l'Elysée, puis vers Matignon, et là finalement on n'arrive même pas au ministère de l'(in)éducation nationale ? Mais c'est quoi, ce gros bordel ?
Remue-ménage citoyen, ah les bâtards, tellement dégonflés qu'ils nous refusent le droit d'aller gueuler sous leurs fenêtres. On suit la direction indiquée par les flics, plusieurs suggèrent de forcer le cordon, mais ça paraît dingue d'envisager un truc pareil alors que tant de mômes sont présents dans le défilé et vont subir du lacrymo si ça dégénère.
"Ceci est un cordon de bleus"
(C. Pasqua)
Métro rue du Bac, terminus du défilé. Sans les casques à la ceinture (bon signe), le cordon de bleus
s'étire avec régularité derrière les barrières, sous un soleil bienvenue et pas trop assommant. Nouvelle gueulante : putain, ils ont pas le droit, il faut forcer les barrages.

Sans vouloir me la péter, je pense que je suis devenu assez fort en manif. Trois individus en civil passent en file indienne à côté de moi, dont deux avec oreillettes. Je dis tout haut et bien fort : "et si on demandait ce qu'il se passe aux R.G. ?". La dernière personne de la file s'arrête, une fille dont la voix me parle : je pense qu'on l'a déjà eue au téléphone au sujet des manifs de 2013-2014.
Je le vaux bien ! Où est la caméra ?
Stupeur : nous apprenons que nous sommes bien sur le dernier trajet de manif déclaré, et qu'à part miss Makeup, personne dans le défilé n'était au courant du parcours.
Histoire d'apaiser un peu les esprits qui s'échauffent, je relaie l'info aux manifestants autour de moi.

Les mâchoires pendent, on est tous sur le cul. Makeup s'approche et me confirme que c'est bien ça qui a été convenu. Pas un mot pour déplorer le ratage de communication, pas une pensée pour tous les écoeurés du défilé qui ont envisagé très sérieusement le passage en force.
Sondeur officiel et totalement
impartial.
Tu penses, elle est bien trop obnubilée par la perspective de sa nouvelle visite au ministère, où (nous l'apprendrons plus tard) un nouveau sous-fifre a annoné fidèlement sa leçon pour mériter son susucre, à savoir "un-sondage-exclusif-CSA-a-montré-que-quatre-vingt-pour-cent-des-parents-approuvent-la-réforme". Bon toutou, avec un peu de pot, le
nouveau perroquet que Hollande a installé au perchoir ministériel te donnera des croquettes en plus.

Les animatrices qui défilent derrière nous regroupent les gosses et les asseyent par terre pour jouer. "Le facteur n'est pas passé..." et les gosses s'amusent, le boulevard Raspail est à eux tandis qu'on glande et qu'on s'emmerde en espérant --sans trop y croire, pour ma part, je reconnais une défaite quand j'en vois une--- que l'audience aboutira à quelque chose.

Un, deux, trois, soleil, les mômes sont énervés, fatigués, j'ai envie de m'asseoir et de pioncer, on s'esquive comme des voleurs pour aller se rafraîchir au bistrot de la rue du Bac, pas loin.

Déception, déception, déception.

Certes, c'était le premier week-end de l'année, et bien des élus et des intervenants associatifs et des parents étaient occupés par les inscriptions des gosses dans les divers forums.

Mais une fois de plus, nous payons le prix amer de la confiance mal placée en des personnes qui, j'en suis convaincue, vendraient père et mère pour avoir leur binette dans les gazettes ou à la tévé.

Et quid de la réforme, pendant ce temps-là ? Quel espace médiatique reste-t-il pour que des plumitifs courageux s'emparent de ce sujet complexe et en donnent une lecture qui ne soit pas déformée jusqu'à l'écoeurement par le poids malsain de la doxa gouvernementale ?
Bordel de merde, y a-t-il un journaliste dans la salle ? Un vrai, un qui bosse, qui sait additionner deux et deux ?
"Fair play"
(M. Friedman & co.)

Je remue de noires pensées en réintégrant lentement ma banlieue... Fatigué physiquement et moralement éreinté par ce nouvel écueil contre lequel notre volonté de faire exister le débat sur ce problème transverse à toute la société vient de se heurter, j'en viens à me dire que nous vivons dans un système bien particulier, un système qu'on pourrait appeler la démocratie capitaliste. Une voix par électeur, mais bizarrement, plus l'électeur est riche et influent, plus sa voix pèse et plus la tienne s'allège.

C'est ce qui permet à une minorité ignorante de la réalité de terrain d'imposer des mesures ratées et coûteuses. C'est ce qui permet à un appareil d'état d'ignorer l'existence d'un problème même quand on lui en apporte les preuves, et de pousser le vice jusqu'à poursuivre ceux qui laissent parler leur colère face à cette indigence intellectuelle verticalement imposée. C'est ce qui permet de préparer, petit à petit, un pays tout entier à accepter tout ce qu'on lui sert, sans se sentir concerné, parce que, voyez-vous, c'est leur problème**.

"Vous ne pensez pas qu'il y a plus grave, quand même ?
- Mais si, ma bonne dame, justement, c'est pour ça qu'on doit se bouger !"
(im)Patients
Car voyez-vous, quand vous allez aux urgences à l'hôpital pour qu'on vous prenne en charge après vous être cassé le bras en glissant sur une peau de banane, vous allez attendre avec des gens qui ont des petites coupures, des gens qui ont été ravagés par un accident de bagnole... petit bobo, gros bob, dans tous ces problèmes, il y en a de plus graves que d'autres, mais tous doivent être soignés : il n'y a pas de mal négligeable.

Est-il anormal de penser que les gouvernants d'un pays riche comme le nôtre puissent être en mesure de s'occuper de plusieurs problèmes de société à la fois ? A défaut de quoi, d'ailleurs, la justification de l'existence de multiples ministères serait difficile à établir, puisque s'il faut traiter un seul problème à la fois, on n'a peut être besoin que d'un seul ministre à la fois.
Et encore, faut voir les ministres...

Aujourd'hui, comme hier, gravons au fer à souder au plus profond de nos boîtes à synapses cet adage simplet mais tellement actuel : la citoyenneté ne s'use que lorsqu'on ne s'en sert pas. Comme disaient les poètes, c'est pas nous qui sommes à la rue, c'est la rue kétanou.

--G4rF--

*indice : ça commence par Face et ça finit par Book.
**relisez Matin brun, ça devrait éveiller un écho.